L'autruche beaucairoise, jadis variété fort rare cultivée avec soin et de nombreux égards pour assurer sa pérennité, s'est vulgarisée ces dernières années au point de passer de la culture plein champs à celle, très controversée malgré ses résultats, sous serres. Ainsi fleurissent depuis quelques temps d'immenses serres dotées d'aménagements technologiques dernier cri. Le profane s'étonnera de ces vastes étendues vitrées qui défigurent le paysage beaucairois, donnant à la plaine de Beaucaire de faux airs de la Silicone Valley. La modernité des installations semble faire un pied de nez aux traditions chères au coeur des beaucairois, mais avec le temps ils s'y sont habitués et ne s'en émeuvent plus guère...
Plus étonnant encore est le procédé de culture, inspiré des temps anciens et modernisé pour assurer une rentabilité maximale du produit, lequel se destine à court terme à l'exportation. Car l'autruche beaucairoise est de plus en plus prisée par les amateurs, et plus encore par les politiciens qui sont prêts à débourser des sommes astronomiques pour en acquérir au sein de leurs équipes ! Des voyages d'affaires sont organisés pour leur permettre de découvrir le produit en culture, dans son jus en quelque sorte, voyages assortis du passage obligé par quelque fête votive ou autre tradition locale festive permettant de valoriser cette variété dont la renommée s'étend désormais bien au-delà des frontières gardoises.
Ainsi le visiteur émerveillé découvre-t-il des rangées de jeunes autruches alignées le cul en l'air, la tête enfouie dans un riche terreau constitué de sable, d'argile et de l'incomparable limon généreusement déposé par les débordements du Rhône dont les vertus ne sont plus à prouver. Le spectacle de ces culs beaucairois élevés en batterie vaut à lui seul le détour ! On prend conscience en les voyant que la pérennité de ce produit rare est assurée pour les générations à venir, et c'est un très grand moment d'émotion. L'atmosphère qui règne dans les serres concoure à impressionner le visiteur étranger, par là nous entendons qu'il n'est pas natif du cru renommé de la Terre d'Argence. Pour qui n'est pas au fait de ce mode de culture spécifique à Beaucaire, qui en a peaufiné le savoir faire au fil des siècles, l'impression est étrange. Le silence est lourd, ponctué des gémissements étouffés des jeunes autruches qui sont bombardées de messages subliminaux véhiculés par des ultra sons les conditionnant à atteindre le taux de passivité nécessaire avant de les relâcher dans la nature ou de les vendre. Nous signalons tout de même que depuis peu s'est constituée une association de consommateurs qui pointe les effets néfastes à long terme de cette méthode de culture sur l'intégrité du produit et prône un retour à la culture plein champs, certes moins productive mais assurant la qualité d'un produit qui serait totalement naturel. Par ailleurs l'exportation de ce produit donne lieu à quelques dérives affairistes préoccupantes sur lesquelles la justice pourrait bien se pencher, certains acheteurs étant soupçonnés de revendre les autruches beaucairoises en sous-main à des holdings au montage compliqué, nébuleuses sur lesquelles quelques médias ont enquêté en signalant leur dangerosité.
Quiconque se porte acquéreur, certes à prix d'or, de ce produit de qualité estampillé AOC, ne manque pas de se réjouir très rapidement d'avoir cédé à la tentation. L'autruche beaucairoise, une fois libérée de l'élevage forcé en serre, s'avère être un animal de compagnie joueur et affectueux, se contentant de quelques fêtes votives, d'apéros arrosés au pastis ou à la bière, et de places assurées dans les tribunes du Stade des Costières pour garder une humeur égale et un comportement des plus sympathiques. La culture de ce produit donne donc d'excellents résultats, et les politiques ont appris à soigneusement mesurer les récompenses données en échange de leur soutien indéfectible. Ainsi l'autruche beaucairoise ne s'émouvra pas de propos racistes et xénophobes, acceptera avec philosophie le retour à des traditions moyenâgeuses, et applaudira à tout rompre la moindre action ou inaction flagrante de son maître. Par souci de fidélité à son acquéreur, et partant du principe qu'on ne mord pas la main qui vous nourrit même si elle vous sert de la merde, l'autruche beaucairoise s'extasiera devant le nouveau logo de sa ville, sans se formaliser que celui-ci remette au goût du jour une fidélité à Louis XI et un ordre de chevalerie depuis longtemps obsolètes et tous deux enterrés.
Car tout ce qui importe à ce produit par ailleurs de grande qualité, c'est de vivre le reste de ses jours en paix, sans torturer ses neurones très abîmés par le lavage de cerveau subi dans les serres, en application de cette maxime de Voltaire "A la cour, mon fils, l'art le plus nécessaire n'est pas de bien parler, mais de savoir se taire." Et l'autruche beaucairoise, forte d'un fabuleux plumage et d'une allure enviable qui fait sa renommée depuis la nuit des temps, courtise quiconque l'acquiert comme personne d'autre ne saurait le faire.
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