mardi 3 novembre 2020

BOULOT DE MERDE


Ils font un boulot de merde. Un boulot épuisant, sale, avec un matériel obsolète. Ils ramassent vos ordures ménagères que vous ne prenez pour la plupart même pas la peine de trier correctement. Ils nettoient vos rues, vos places, vos trottoirs, vos espaces verts. Tôt chaque matin, pendant que beaucoup d'entre vous dorment encore, ils sont sur le pont et débutent leur journée avec énergie et ponctualité. Et ils aiment ce boulot, ils ne veulent pas en changer. Ils sont fiers de contribuer à l'entretien de leurs villes. Quand vous les croisez ils vous saluent d'un grand signe de la main, d'un large sourire ou d'un trait d'humour qui met de la bonne humeur dans la grisaille.

Ils font un boulot de merde. Ils ramassent vos merdes. Toutes ces ordures que vous balancez en vrac dans des sacs mal fermés, parfois sans sacs. Ces emballages de fast food et autres cartons de pizza. Ce pain rassis que vous jetez aux pigeons sans vous soucier de pourrir un peu plus les points de collecte. Les merdes de vos chiens que vous ne prenez pas la peine de ramasser. La pisse des ivrognes et le verre des bouteilles d'alcool. Quand vous entendez leurs camions passer vous savez qu'il est l'heure de vous lever et de commencer votre journée. Vous râlez après le bruit des camions, vous vous pincez le nez à cause de l'odeur du produit de nettoyage des balayeuses à brosses rotatives qui ne nettoient plus grand-chose. Mais quand vous sortez dans vos rues elles sont propres, elles sentent bon, et rien ne traîne. Vous critiquez quand même l'état de votre ville, cela vous soulage tellement de désigner un ou des responsables de tout ce qui ne vous plaît pas. 

Bien sûr ce moment de grâce matinal ne dure pas ! Et depuis une semaine, ces hommes que vous ne voyez même plus tant vous y êtes habitués sont en grève. Les poubelles s'accumulent, les cafards et les rats commencent à festoyer joyeusement, se frottant les pattes de ce festin inattendu. Alors vous récriminez sur les réseaux sociaux après ceux qui jettent leurs ordures ménagères ou leurs encombrants n'importe comment, vous les pointez du doigt. Tous des porcs ! Vous le criez haut et fort, sur tous les tons, sur tous les groupes. La délation, la rumeur, courent la ville. Vous vous délectez ! Enfin on vous écoute ! Et vous avez tant à dire sur le ramassage des ordures. Parce que vous bien sûr vous feriez tellement mieux si vous deviez gérer les cinq villes de la Terre d'Argence... Et vous avez une solution radicale : balancer les ordures devant les habitations des maires, des élus, des responsables de la CCBTA, de tous ces gens que de toutes façons quoiqu'ils fassent vous n'aimez pas. 

Vous avez raison de vous inquiéter des conséquences sanitaires. Après le Covid, c'est la peste qui vous guette ! Vous en faites des cauchemars chaque nuit, bien au chaud et à l'abri chez vous. Mais vous-même que faites-vous depuis le début de cette grève ? Vous jetez tout et n'importe quoi ! Vos détritus les plus divers, les plus insolites aussi, viennent grossir les tas d'ordures, vos chiens pissent sur les sacs et contre les encombrants et vous les laissez faire. Vous ne ramassez pas plus les crottes de vos chiens, après tout la ville est déjà tellement sale, un peu plus un peu moins... Et vous vous dites que c'est le moment de faire un vide maison et de vous débarrasser de tous ces trucs qui vous encombrent. Les vieux matelas, les cartons, l'électroménager en panne que vous n'arrivez pas à vendre, les vieilles fringues importables, et le mobilier dont personne ne voudra jamais vu l'état dans lequel il est ! Tout cela arrive dans nos rues et sur nos places dans un état de saleté lamentable qui en dit long sur ce qui peut se passer derrière vos portes et vos fenêtres closes sur vos vies prétendument parfaites.

L'hygiène ce n'est pas forcément votre truc, on l'a compris. Le respect des autres non plus. Non vous, tout ce que vous voulez c'est que ces fainéants d'agents territoriaux bossent ! Et de les imaginer se la coulant douce devant le dépôt de la CCBTA, parce que tout le monde sait qu'un mouvement de grève = vacances, vous hérisse le poil et vous donne des envies de meurtre. La solidarité, l'empathie, on a compris aussi que ce n'était pas non plus votre truc. Vous avez pour la plupart soutenu les Gilets Jaunes ou avez participé au mouvement, mais là bien sûr ce n'est pas pareil hein ? Il ne s'agit plus de vous, de votre nombril, mais des autres. De ceux dont les conditions de travail gagneraient à être améliorées. Parce qu'un tel boulot çà mérite votre considération. Celle de tous. Mais à eux vous n'avez pas apporté de panier garni. Vous n'avez pas pris 15 minutes de votre temps si précieux pour aller discuter avec eux. Vous ne les avez pas interrogés directement sur les raisons de leur grève. Parce que en fait savoir de quoi il retourne ne vous intéresse pas vraiment. Vous voulez juste qu'on enlève ces tas d'ordures qui puent et qui donnent un vilaine image de votre ville. 

Mais quand le ramassage des ordures et le nettoyage de vos rues sera donné à une entreprise privée, vous qui trouvez cette solution tellement géniale ne pourrez plus arrêter un camion de ramassage dans la rue pour signaler un dépôt sauvage d'ordures. Vous ne pourrez pas charrier les gars qui nettoient les  places et les cours après chaque marché, comme çà, juste pour le fun ! Parce que ladite entreprise leur mettra une telle pression qu'ils n'auront plus le cœur à rire et bosser en même temps. Et ces gars-là, vous avez oublié que ce sont vos amis, vos voisins, des citoyens comme vous. Que peut-être vous étiez ensemble à l'école, au collège, au lycée. Que vous connaissez leurs familles. Faites comme moi, allez les voir ! Parlez-leur, discutez avec eux, écoutez-les. Râlez aussi si vous le voulez, ils vous écouteront. Ces hommes ne sont pas des pions que l'on déplace à l'envie sur l'échiquier de la CCBTA pour restreindre le budget entretien de vos villes. Ce sont des hommes qui font un boulot de merde. Parce qu'il faut bien que quelqu'un le fasse. Pour vous.