Je me suis jointe aux signataires de l’appel au boycott de la Coupe du Monde de Football au Qatar lancé par un collectif gardois, parce qu’il était initié sur la défense de valeurs dans lesquelles je me reconnais. Mais cette démarche qui, je le précise, n’est en aucun cas politique, mérite quelques éclaircissements sur mes motivations et mes positions.
Passionnée d’histoire et de politique, je m’intéresse beaucoup aux pays du Moyen-Orient. J’en apprécie les coutumes, la culture et la gastronomie. J’en respecte également la religion et certaines traditions. J’en connais peu ou prou l’histoire, la structure politique, le fonctionnement économique et bien évidemment les atteintes aux droits de l’homme et les discriminations qui y sont pratiquées. Militante antiraciste et antifasciste, profondément humaniste et très attachée aux libertés individuelles, je suis choquée par l’homophobie affichée des qatariens comme par les terribles conditions de vie des populations qui sont employées localement. C’est un pays jeune, fondé en 1878, et une monarchie absolue. Ce qui entraîne un mode de gouvernance à l’opposé de celui de notre République. J’ai moi-même vécu plus de vingt ans au Maroc, je suis rompue aux us et coutumes des pays musulmans et je connais les contraintes de ce type de monarchie pour ses citoyens comme ses résidents. Et je pars du principe que si l’on n’est pas prêt à respecter les lois d’un pays il ne faut tout simplement pas y séjourner. On peut bien entendu dénoncer ce qui s’y passe, mais bien à l’abri de nos démocraties on ne peut pas faire preuve d’ingérence sans risquer de remettre en cause la souveraineté d’un État. Seuls les citoyens du pays le peuvent. Il nous appartient de les motiver et de les soutenir sans outrepasser nos droits et sans les mettre en danger. Attention à ne pas toujours intellectualiser nos combats, sur le terrain la réalité est toute autre. Et les conséquences bien pires ! En ce sens je comprends et respecte la décision d’Hugo Lloris, capitaine de l’équipe de France, de ne pas porter le brassard One Love pendant les matchs. Tout comme les artistes, les sportifs n’ont aucune obligation de militantisme. Laissons-les faire leurs choix sans attendre d’eux plus qu’ils ne peuvent ou veulent donner. Ils sont là pour gagner, pas pour porter nos revendications quand bien même celles-ci sont légitimes.
Oui, le sport a toujours été politique. Quand le Président de la République déclare qu’il ne faut pas politiser le sport il agit dans une logique d’apaisement, et ainsi qu’il l’a très justement rappelé il fallait y réfléchir au moment de l’attribution. Cela étant les historiens et les analystes du monde sportif sont là pour nous rappeler que l’histoire est pleine d’exemples des nombreuses dissensions politiques et propagandes liées aux grands événements sportifs et infirmant ce propos ⤵️
- JO de Berlin, Melbourne, Mexico, Munich, Montréal, Moscou, Los Angeles, Séoul, Atlanta, Pékin (1936, 1956, 1968, 1972, 1976, 1980, 1984, 1988, 1996, 2008)
- JO d’Hiver (1948, 1952, 1962, 1968, 1980)
- Coupes du Monde de Football d’Italie, de France, de Suisse, du Chili, du Mexique, d’Argentine, des USA, d’Afrique du Sud (1934, 1938, 1954, 1962, 1986, 1978, 1998, 2010)
Le sport a de tout temps et dans toutes les civilisations été utilisé comme un outil politique. Il est de notoriété publique qu’en 2010 l’attribution de la Coupe du Monde au Qatar s’est faite sur la base de magouilles et de marchandages éhontés en totale contradiction avec les valeurs du sport. Ce n’est certainement pas la première fois, à nous de faire en sorte que ce soit la dernière ! Bien sûr il aurait fallu réagir à ce moment précis et ne pas attendre cette année pour lancer un vibrant appel au boycott. Mais sans doute étions-nous moins conscients de l’urgence climatique et moins prompts à nous offusquer des atteintes aux droits humains de ce petit pays. Il faut avoir conscience du fait que dans les critères d’attribution des compétitions sportives n’entrent pas en ligne le mode de gouvernance, les crises climatiques ou l’universalité des droits. Non, ce sont les équipements sportifs, la capacité d’accueil, les moyens de transport et tout le paquetage joliment emballé qui sont pris en compte. Cela et les “cadeaux” de toutes sortes qui l’accompagnent, y compris l’aura sportive ou culturelle des ambassadeurs choisis par les pays candidats pour appuyer leur dossier. Bref ! Beaucoup de tintouin et d’argent dépensé par les pays candidats pour grimper sur le podium. Le sport et l’argent ne font pas bon ménage, le premier pervertit le second depuis trop longtemps. Alors est-il trop tard pour revenir à des valeurs humanistes essentielles ? Je suis persuadée que le boycott de ces événements peut permettre à plus ou moins brève échéance une évolution dans ce sens. Mais l’attribution des JO d’Hiver à l’Arabie Saoudite n’en prend pas le chemin…
Quant au Qatar, un point sur la carte guère plus grand que le département de la Gironde mais qui a candidaté justement pour accroître son rayonnement et peser dans la balance géopolitique internationale, il est en passe de réussir son pari. Avec quelques couacs bien entendu, mais qui peut-être induiront un changement de mentalité de son peuple un jour prochain. Beaucoup de gens qui ne savaient rien du Qatar le situent aujourd’hui sur la carte, mais nombreux sont ceux qui s’arrêtent encore à ce que les médias en disent et ne s’intéressent ni à son histoire ni à sa culture. Et ils l’oublieront sitôt la Coupe du Monde terminée. Alors que justement il ne faudra rien lâcher sur les sujets qui fâchent.
Chacun fera ses choix en son âme et conscience. Il serait hors de propos de jeter l’opprobre sur celles et ceux qui décideront d’organiser des événements publics ou privés autour de la compétition. Les droits de diffusion des matchs sont d’ores et déjà vendus et le tiroir caisse de la FIFA déborde ! Cela ne changera rien. Dans ces conditions, exiger par exemple des restaurateurs qu’ils se privent des bénéfices qu’ils peuvent obtenir sur la base d’un seul engagement moral c’est méconnaître sciemment les difficultés rencontrées par les professionnels du secteur. On peut évidemment espérer cet engagement des amateurs de football, mais chacun fera ce qu’il veut en son âme et conscience. N’oublions pas que pour être politique le foot n’en demeure pas moins un divertissement populaire, et la Coupe du Monde en est le point d’orgue.
Pour ma part je ne porte aucun jugement sur les fans qui ne se priveront pas de regarder les matchs. Je n’en regarderai pas un seul, mais je n’y aurai aucun mérite. Je n’aime pas le football.