Je m'interroge. Jusqu'à quand va-t-on fermer les yeux sur les changements profonds à l'oeuvre dans notre société ? Les fake news, les intox et la réinformation, propagées par l'extrême droite, et une partie de la droite dite républicaine, infusent toutes les couches de la société civile, pervertissant des secteurs dont le bon fonctionnement est indispensable au vivre ensemble. La moindre annonce du gouvernement soulève une tempête, la montagne accouchant la majorite du temps d'une souris. La moindre phrase lâchée par des fonctionnaires qui se sentent de moins en moins tenus par le devoir de réserve fait les beaux jours des réseaux sociaux, commentée et déformée à l'infini. La moindre analyse, le plus petit commentaire, émis par des politiques en mal de popularité, sont sujets à d'interminables polémiques, décortiquées par des politologues et autres spécialistes du sujet sur les plateaux de télévision. Des plus nuls aux plus sérieux. Le sujet de la semaine est passé au tamis jusqu'à l'écoeurement. A l'Assemblée Nationale, c'est la foire d'empoigne ! Les noms d'oiseaux fusent. En écoutant les débats, dont la virulence n'a souvent d'égale que la mauvaise foi, on se croirait revenus au bon vieux temps de la IIIème République. Et je me dis qu'avant de jeter aux orties notre Vème République, peut-être faudrait-il simplement l'amender. En changer quelques règles, dans un souci de clarté et d'apaisement. Certes, elle n'est pas parfaite ! Mais ce n'est certainement pas en envisageant d'e faire entrer dans l'hémicycle, par le biais de la proportionnelle, un nombre plus important de députés d'extrême droite, dont on sait qu'ils n'ont rien de républicain, qu'on va améliorer les choses.
Alors je m'interroge. Quid des bonnes résolutions annoncées par les uns et les autres pour le droit des femmes ? Pour la protection des victimes d'incestes, et de violences sexistes et sexuelles ? Pour améliorer la vie de celles et ceux, de plus en plus nombreux, qui vivent en-dessous du seuil de pauvreté ? Toutes ces personnes en grande difficulté sociale qui se font mettre le grapin dessus par le RN qui se prétend le parti du peuple, et prône une politique illibérale au service des grandes entreprises et des plus riches qui nous mènerait droit dans le mur. Un parti qui n'a de populaire que sa faconde, et sa vision simpliste de notre économie. Pour pallier ce réel danger, nos élites ne devraient-elles pas se remettre en question ? Faire leur examen de conscience, rabattre leur caquet, et se reconnecter au terrain qu'elles ont déserté depuis longtemps ? Et borner soigneusement celui-ci pour en limiter l'accès à l'extrême droite. Se tenir debout, sans craindre de perdre quelques voix qui ne leur sont de toutes manières pas acquises. En se souciant réellement des gens, pas de leur siège. Que celui-ci soit à l'Assemblée Nationale, ou dans l'un ou l'autre des divers conseils de la nation. Parce que le peuple en question, celui qui fait les frais de leurs reculs et de leurs hésitations, voire de leurs compromissions, en a marre de donner sa voix à celles et ceux qui, de toutes manières vont les jeter par-dessus les haies du front républicain, comme une fille légère son bonnet !
Je vis depuis dix ans à Beaucaire, dans le Gard. Une ville de 16000 habitants tombée aux mains du Front National en 2014. Et qui a récidivé en 2020. En reconduisant Julien Sanchez, maire Rassemblement National devenu cet été député européen sur la liste menée par Jordan Bardella, les beaucairois ont fait le choix de valider une série de politiques discriminatoires, et d'atteintes à la laïcité, qui sont le lot de toutes les villes gérées par le parti à la flamme et ses coreligionnaires. J'ai vu la ville, et le département, céder le terrain pouce par pouce. Faire tomber les digues. Une épidémie qui s'étend aux départements voisins des Bouches du Rhône et du Vaucluse. Et les partis de gauche, majoritairement, délaisser le terrain pour lutter sur le papier. Mais pas en actes. Plus en actes. LFI, dont je ne partage ni les outrances, ni la plupart des positions politiques, est à ce jour le seul mouvement politique qui est présent sur le terrain. Quid des autres ? Même le Parti Communiste, qui a toujours combattu pied à pied l'extrême droite, se fait timide, et s'est replié comme les autres sur le confort du "oui, mais..." Comme Les Écologistes, qui sont très loin, dans le Gard, d'avoir la niaque et la fermeté des positions de Marine Tondelier. C'est simple, on ne les voit jamais. Et je ne m'étendrais pas sur le Parti Socialiste, qui est pitoyable d'attentisme consensuel. N'a-t-on jamais dit à tous ces gens-là, que se gargariser de mots n'a jamais fait progresser la lutte antifasciste ? Ils ne luttent pas. Ne savent plus ce que signifie lutter. Ils attendent la chute de leurs prétendus amis, et parfoks l'encouragent en leur faisant un croche-pied. Ils guettent avec acharnement le moindre faux pas, pour s'emparer de la plus petite parcelle de pouvoir. Et remisent au rang des perturbateurs les antiracistes et les antifascistes.
L'année dernière, nous avions fait venir dans notre ville Dominique Sopo, président de SOS Racisme, pour une conférence sur le thème "Antiracisme et Engagement Politique". Aucun politique de la gauche locale, n'était présent. Parce qu'ils ne se sentent pas concernés ? Plutôt parce qu'ils n'ont pas compris qu'antiracisme et engagement politique sont, au contraire de ce qu'ils pensent, intimement liés. Que l'antiracisme et l'humanisme amendent les choix politiques, et font progresser notre société. Qu'il est important que les politiques soient au contact des antiracistes et des antifascistes, dont les luttes sont vitales pour l'égalite et la fraternité. Et qu'il n'y a aucune contradiction entre les engagements politiques, antiracistes et antifascistes.
Nous l'avons hélas constaté le samedi 23 novembre, lorsque Jordan Bardella est venu à Beaucaire pour inaugurer la permanence du député européen Julien Sanchez, maire de la ville d'avril 2014 à juillet 2024, en présence de l'habituelle brochette de députés RN du Gard, et de ceux des Bouches du Rhône venus en voisins. Nous étions une cinquantaine. Mais très peu de militants de gauche beaucairois et de Terre d'Argence étaient présents. Majoritairement LFI, comme l'unique élu d'opposition municipale de gauche, qui les a sollicités. Aucun communiste. Aucun socialiste. Aucun écologiste. Ils sont tous restés bien au chaud chez eux. Enfin, pardon... Un autre était là ! Qui s'est tenu soigneusement à l'écart de notre manifestation. Par crainte probablement de se commettre avec des antifascistes qui dénoncent les élus du RN pour ce qu'ils sont : des fascistes. Et ne se privent pas de le clamer haut et fort. Il est certain que les ambitions politiques, lorsqu'elles dégoulinent de consensualité, ne sont pas compatibles avec nos luttes. Il fallait tout de même le voir pour le croire. Eh bien, nous l'avons vu ! Les élus et sympathisants RN aussi. Le verdict se fera dans les urnes, en 2026. Dont acte.
Si l'on ajoute à ça qu'un commerçant, beaucairois pur jus, s'est compromis en accueillant la dédicace du livre (?) de Jordan Bardella, on comprendra jusqu'où s'étend l'influence pernicieuse du RN. Lequel n'est pas regardant et racole large. En l'occurence au sein d'une famille prétendument communiste. Ce qui a donné lieu à une file d'attente impressionnante d'environ 1500 excités du bocal, qui brandissaient des drapeaux tricolores, et dont certains ont grimpé sur des locaux techniques pour les agiter, sans que le patron des lieux y trouve à redire. Patron dont les parents se sont offert un selfie tous sourires avec Jordan Bardella. Belle prise pour le RN local... On a finalement la notoriété qu'on mérite.
Alors je m'interroge. On fait quoi ? On suit le mouvement pour se faire bien voir, et on pense en bleu, blanc, rouge ? On baisse les bras et on lâche l'affaire ? Ou on relève la tête, et on se bat ? Sans rien céder à l'extrême droite. Vous, je ne sais pas. Mais moi, tant que je le pourrais, je me tiendrais debout face aux fascistes. La tête haute. Et même si c'est parfois une position inconfortable. Vous qui me lisez et qui hésitez encore, vous devriez essayer. Au pire, vous ne risquez qu'un torticolis. Et de vous abîmer les cordes vocales en scandant « Siamo tutti antifascisti ! » ✊