mercredi 16 juillet 2014

BEAUCAIRE, village Potemkine du FN

Voici quelques semaines j'ai fait partie des beaucairois qui ont eu un entretien avec Thomas LEMAHIEU, journaliste à l'Humanité qui menait une enquête sur Beaucaire. Notre chute dans les bras du Front National ne s'est pas faite sans conséquences et beaucoup d'entre nous, moi la première, sont toujours en colère. Une saine colère qui nous motive pour lutter contre le Front National et dénoncer les actions antisociales de la mairie, les discours ouvertement nationalistes et nos craintes pour l'avenir de notre ville. Nous lui avons livré des faits, certes, mais aussi nos ressentis et nos inquiétudes. Je le remercie pour son regard sur Beaucaire.


Beaucaire, village Potemkine du FN
extrême-droite
THOMAS LEMAHIEU

MERCREDI, 16 JUILLET, 2014


DERRIÈRE DES FAÇADES, DES LOGEMENTS VENDUS À LA DÉCOUPE

Après avoir emporté la petite ville du Gard en jouant sur les ressorts racistes, le parti de Marine Le Pen est sous surveillance citoyenne.

Beaucaire (Gard), envoyé spécial. Où est-on? Il y a quelques mois, c’est ici que, lors d’un meeting électoral, Marine Le Pen avait lancé sous les applaudissements: «Quand je suis à Beaucaire, je n’ai pas envie d’avoir le sentiment d’être à Rabat.» Un chœur de militants, de sympathisants lui avait répondu: «On est chez nous!» Quelques semaines après, Julien Sanchez, à peine trentenaire, la moitié de sa vie passée dans les rangs du FN, longtemps coanimateur salarié du billet vidéo de Jean-Marie Le Pen, a emporté la ville avec 39,8% dans le cadre d’une quadrangulaire avec deux listes de droite et une de gauche. On est donc «chez nous», à «Beaucaire ville française» – selon l’intitulé de la liste d’extrême droite –, et que se passe-t-il? Rien, ou presque: le FN se fond dans le paysage, sans faire de vagues. «Chaque 14Juillet aura lieu une vraie fête nationale digne de ce nom à Beaucaire», tambourinait son programme. Cette année, les frontistes ont fait la fête entre eux dans un mas à l’écart de la ville.

« Un effondrement de la société »

Tout est normal, alors ? M.le maire fait chanter la Marseillaise au début du conseil municipal. Il est allé s’asseoir sur un banc avec les chibanis, il a même mangé un kebab, dit-on. M.le maire a mis des drapeaux français sur les quais. À chaque occasion, toujours en représentation, il arbore un sourire enjôleur, sauf sur les réseaux sociaux où il montre encore les crocs parfois. Dans la vraie vie, M.le maire a tout de même réussi à traiter de «racailles» des enseignants du lycée qui ont refusé de siéger à ses côtés. Il rêve de créer un «marché provençal» qui serait plus chic que les puces. M.le maire, qui a fait venir à ses côtés le dirigeant départemental du FN et l’ex-attachée parlementaire de Gilbert Collard, a demandé qu’on ne joue plus de musique «folklorique» dans les mariages, dans les bâtiments publics comme sur la place publique. Contre les youyous, l’ordre règne à Beaucaire. Dans la cour intérieure de sa maison, sur la place de la mairie, Jean-Michel Vecchiet, réalisateur de documentaires et habitant de Beaucaire depuis une dizaine d’années, veille, à la fois accablé et déterminé. Pendant la campagne électorale, il a alimenté un blog pour conjurer le péril. «Depuis que Julien Sanchez est élu, la baudruche de l’insécurité qu’il a abondamment gonflée pendant sa campagne a explosé, estime-t-il. En apparence, rien ne change, et c’est bien naturel car en fait, il n’y avait pas vraiment d’insécurité, mais quelques incivilités plutôt. Toute sa campagne, il l’a faite sur la chimère de l’immigration et de l’insécurité, mais tous ces jeunes que le FN stigmatise sont pleinement d’ici, ils participent aux courses de taureaux… Ici, ce n’est pas que la Provence, c’est la Méditerranée!» En promenade dans Beaucaire, Jean-Michel Vecchiet pointe le résultat d’un abandon de longue date: un centre-ville où les commerces ont fermé les uns après les autres sous les coups de boutoir de la grande distribution, des logements qui, derrière les façades souvent magnifiques, ont été vendus à la découpe et se sont dégradés et, au loin, les friches industrielles qui ne laissent de l’emploi qu’une plaie. «On vit un effondrement de la société avec des gens qui se sont paupérisés, repliés sur eux-mêmes, constate-t-il. Et c’est là-dessus que le FN triomphe. Qu’est-ce qu’ils vont faire pour changer ça? Rien, probablement… Tout ce que les missionnaires de Marine Le Pen veulent, c’est montrer qu’il n’y a pas d’incidents quand ils gouvernent, qu’ils peuvent gérer une petite ville, et donc le pays… 

"C’est sûr, mais on ne chassera pas le FN à coup de mistral" 

Et c’est là que ce qu’il se passe ou pas, d’ailleurs, à Beaucaire, cette normalisation, représente un danger.» Membre d’une petite association citoyenne anti-FN et très active elle aussi sur le Web, Laure Cordelet s’est rendue à Fréjus fin juin pour échanger avec d’autres militants des différentes communes aux mains de l’extrême droite depuis mars. «La victoire de Julien Sanchez, je la vis comme une insulte permanente, c’est sûr, mais on ne chassera pas le FN à coup de mistral ou en boycottant ses électeurs, il faut discuter, estime-t-elle au bar de la Marine. On a face à nous des gens qui communiquent, qui sourient, mais quand il s’agit de résoudre les problèmes d’emploi, de pauvreté, ils s’enfuient…» Seul élu de gauche au conseil municipal, Claude Dubois, en compagnie de militants du Front de gauche, insiste lui aussi sur la part d’intox du FN. «À la tête de la ville, il y a une toute petite équipe qui se concentre sur l’image, mais dès qu’ils doivent se prononcer sur le cœur des politiques municipales, la délégation de service public à Veolia, par exemple, ils sont largués! Après avoir été élus sur les ressorts racistes, l’épreuve de vérité arrive pour eux.» Dans la rue nationale, entre la dernière boucherie – halal – et l’ultime boulangerie – pâtisseries orientales –, une boutique de téléphonie ne désemplit pas. Toute la ville y passe – la vraie ville, pas celle des fantasmes d’extrême droite. Marocain installé en France depuis 43 ans, d’abord en Alsace puis à Beaucaire – «je suis tombé sous le charme de cet endroit», glisse-t-il –, Driss Akau, son propriétaire, file des coups de main à tout le monde, en français, en arabe et en espagnol. «Sans les Équatoriens, les Colombiens, les Boliviens et tous les latinos venus travailler dans l’agriculture, je pourrais fermer boutique», glisse-t-il. Flegmatique, le commerçant, qui vient de créer une association pour «redynamiser la ville», ne craint pas le FN: «Sans immigrés, en France, il n’y a plus rien, c’est un ciel sans étoiles. Je me sens pleinement français, je n’aime pas les gens qui mettent leurs drapeaux en avant, mais parler des langues différentes, c’est une vraie richesse pour ce pays!»

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