dimanche 6 août 2017

NE TUEZ PAS LE MESSAGER

Ajax arrachant de force Cassandre du Palladium
Intérieur d'une coupe à figures rouges du Peintre de Codros
v. 440-430 av. JC musée du Louvre

On m'a dit et répété de me tenir tranquille. De faire profil bas quelques temps. De ne plus énoncer le moindre avis qui risque de mettre le feu aux poudres. De garder pour moi mes opinions, mes ressentis, mes mises en garde... Bref, d'arrêter de faire chier le monde ! Moi je suis plutôt bonne pâte quand on prend la peine de me parler, j'écoute ce que l'autre a à dire, et mieux encore je l'entends. Après un face à face je m'interroge, je me remets en question, je prends l'avis de quelques très proches qui me connaissent mieux que personne et savent refréner mes ardeurs. J'accepte volontiers la contradiction, elle permet d'alimenter le débat et donne plus de champ à la réflexion, mais encore faut-il qu'elle soit argumentée et force est de constater que ce n'est pas toujours le cas. Car il ne suffit pas de dire stop sur un ton agacé pour obtenir gain de cause, et certainement pas avec moi. Mettre en cause mon ego en le sous-entendant surdimensionné, employer des termes comme "tirer la couverture à soi" hors de propos et sans justification, me reprocher une médiatisation nécessaire pour me faire entendre, signifie que ces gens-là n'ont rien compris. Ni à ce que je suis, ni surtout à ce que je fais. 

Alors je m'interroge. Les personnes qui jugent nécessaire de me museler temporairement se demandent-elles parfois si elles-mêmes ne devraient pas en faire autant ? Car tant qu'à porter un jugement sans appel à mon égard sans prendre la peine ni de m'écouter ni de me connaître, je leur suggérerai de s'intéresser à leur propre nombril pour s'exercer à l'art délicat d'une argumentation construite et efficace. Ce que pour l'heure je n'ai pas encore eu à réellement affronter, et je le déplore. Soyons logiques, quel intérêt y a-t-il à argumenter face à des discours lapidaires qui ne tiennent aucun compte de la réalité qui motive mes interventions ? Et par là même leur portée. Le regard que d'aucuns portent sur mon activité en tant que présidente du Rassemblement Citoyen Beaucaire Terre d'Argence simplement parce qu'ils y voient l'expression d'une ambition que je n'ai pas, et l'incompréhension qui en découle, font fi de trois années d'un travail quotidien aussi difficile que patient. Soit 1096 jours d'apprentissage, de recherches, de lectures, de synthèses de l'information mise à la portée de tous. Un travail acharné, qui ne connaît ni repos ni temps morts, épuisant mais stimulant. 

Il serait bon que ceux qui se font un plaisir de toujours critiquer ce que font les associations antiracistes et ceux qui les représentent prennent la pleine mesure du travail de terrain, de celui fait en amont, de la somme d'informations qu'il est nécessaire d'éplucher pour trier le vrai du faux, des contributions de chaque collectif citoyen pour coordonner leurs efforts à l'échelle nationale et des moyens qu'ils se sont donnés pour être entendus. On ne s'improvise pas militant citoyen du jour au lendemain, il est essentiel de savoir où nous mettons les pieds, à quelle sauce malodorante nous serons mangés, avec quelle perfidie nous serons contrecarrés ! Chaque jour est une bataille. Et en sus nous avons tous une vie de famille, un travail, des passions... Mais le combat antiraciste prime sur tout le reste, et notre entourage peut en témoigner. Régulièrement depuis trois ans je subis des commentaires douteux sur ma famille, des moqueries, des commentaires sexistes et discriminatoires, des humiliations, des menaces d'agression et de mort, ma fille unique a été menacée de viol par des fachos et des identitaires bas de plafond... Bref ! Tout ce qui fait le quotidien d'une femme militante. Mes amies des collectifs citoyens ou engagées en politique peuvent témoigner de cette douloureuse réalité. Alors quand j'entends que je ne suis pas à plaindre parce que je l'ai voulu, que je n'ai qu'à arrêter, je n'ai pas d'autre choix qu'en rire... Visiblement ceux qui peuvent proférer une telle ânerie ne savent rien du combat que je mène, ils n'en comprennent pas l'exigence et je crains fort qu'ils n'en prennent jamais conscience.

Cerise sur le gâteau de l'incompréhension, ces personnes me reprochent de faire le jeu du Front National en informant sur les erreurs de gestion, les faits et gestes des élus et notamment du maire, en critiquant ce qui est critiquable. Il faudrait se taire, laisser passer le vent mauvais qui contamine la vie beaucairoise et jusqu'à ses traditions si chères au cœur des beaucairois ! Il faudrait rire de tout et surtout de n'importe quoi, attendre en silence, subir en silence, constater en silence jusqu'au jour où l'on jugerait acceptable de me retirer ma muselière. Mais trop tard je le crains... Un peu comme on lâcherait les chiens sur des voleurs qui auraient pris la poudre d'escampette depuis belle lurette. A ces personnes je dis qu'il ne faut pas se leurrer, céder un seul pouce de terrain à l'extrême-droite, au racisme, à l'antisémitisme, à la haine, à la discrimination, à la pauvrophobie et à la connerie tout court nous mènera tout droit à notre perte. Le propos est grandiloquent, certes, mais la seule idée de vivre un mandat supplémentaire sous le joug du Front National me donne la nausée ! Et j'avoue ne pas comprendre ceux qui n'en mesurent pas le danger. S'il leur convient de demeurer passifs grand bien leur fasse, je ne pourrai jamais l'être. Cela revient pour moi à faire des compromis et mieux, à se compromettre. Je peux côtoyer des élus Front National, leur serrer la main, discuter et même rire avec eux sans aucun problème. Je combats une idéologie dangereuse, pas des personnes, et je n'accepterai jamais la moindre compromission. Oui c'est une exigence morale, et je n'en demande pas plus aux autres que je n'en exige de moi-même, je suis droite dans mes bottes. Mettre cela en doute revient à dénigrer également la force de l'engagement des militants qui s'investissent dans les collectifs citoyens, car nous sommes tous dans la même démarche. Et nous travaillons dur. Puisque cela semble nécessaire je le redis ici, rien ne m'empêchera de faire ce que j'estime en mon âme et conscience devoir faire. Je veux pouvoir me dire si nous perdons ce combat que j'aurais fait tout mon possible pour éviter la défaite. Mais des erreurs nous en commettons tous, et personne n'est irréprochable. Il n'y a d'ailleurs pas lieu de l'être car ce n'est pas ce qui importe dans ce bras de fer engagé avec la haine et le populisme. Non, ce qui prime c'est l'engagement et la volonté de promouvoir une vision d'avenir. Pour ses concitoyens avant tout, pas pour soi-même. 

Cela étant posé, je n'ai bien évidemment aucune intention de me museler, pourquoi ne pas me mutiler pendant que nous y sommes hein ? M'interdire d'écrire revient à me priver de la parole, mon moyen d'expression le plus efficace est et sera toujours ma plume. A Dieu ne plaise qu'elle perde un jour sa causticité, elle me ferait périr d'ennui ! Pour finir je citerai simplement Sophocle - Antigone Acte I Scène 2 « Les mauvaises nouvelles sont fatales à celui qui les apporte. » 

Certains jours je me sens telle Cassandre condamnée à ne jamais me faire entendre et regarder ma destinée s'accomplir, impuissante. Et telle la fille de Priam j'en éprouve plus de tourments que de bienfaits. Je n'ai pas la prétention d'être la seule voix qu'il faille écouter, mais que l'on m'accorde au moins la tolérance que l'on donne à d'autres. Que les personnes qui m'ont fait part de leurs revendications communautaires répétitives avec plus ou moins de finesse et d'humour au fil de ces trois dernières années admettent que j'exerce ici mon droit de réponse légitime. Et qu'elles aient la bonté de comprendre qu'en vérité tout cela ne m'apporte rien de plus que la satisfaction d'être en accord avec ma conscience. N'y voyez pas l'expression d'un quelconque ego mais celle d'une leçon que l'Histoire nous a maintes fois apprise : ne tuez pas le messager, écoutez le message.