mercredi 16 mai 2018

DE LA LIBERTÉ D'EXPRESSION


Ainsi donc en 2018, dans une paisible petite ville endormie sous le soleil d'Occitanie, il est encore des susceptibilités qu'il faut ménager faute de se retrouver sommé de répondre de ses actes manqués. La neutralité n'est plus de mise, il faut prendre parti vite et bien, de préférence en faveur du pouvoir en place et sans trop gamberger ! On ne peut plus se payer le luxe d'une once d'humanité et d'un soupçon de réflexion sans craindre d'être pointé du doigt et roué en place publique. Il n'est plus temps de raison garder, les fouets sont là, réels comme virtuels, qui guettent la moindre complaisance, qui punissent la plus petite empathie, qui cinglent les partisans de l'humour pris dans sa plus simple expression.

Objectera-t-on que de l'humour à l'injure ou la diffamation il n'y a qu'un pas et que de certains sujets il ne faut plus désormais se prendre à rire ? C'est un fait. Nous vivons dans un monde aseptisé qui ne tolère plus les écarts de langage et réprime les libertés auxquelles s'adonnent les esprits forts. Entendons par là les personnes éprises d'indépendance qui revendiquent leur droit à ne pas se poser en juges et parties, laissant ainsi aux autres une formidable et nécessaire liberté d'expression. Alors bien sûr toute liberté donne lieu à des dérives, voire même à des abus ! Mais c'est un risque à prendre et un outrage à assumer pour toute personne publique. On ne peut se poser en représentant de commerce d'une idéologie et réfuter tout argument qui la détruirait. De même on ne peut considérer qu'un jeu de mots puisant de toute évidence dans l'ironie et portant un jugement sur un comportement, soit une injure publique. Toute personne publique prête à rire, c'est un à côté livré avec le package de l'engagement au sein d'un parti politique, d'un état d'artiste reconnu ou d'une quelconque célébrité. Certes il n'est pas question dans nos cercles restreints de célébrité, mais de personnage publique oui. Et de toute évidence si l'on n'a pas les épaules assez solides pour supporter les inconvénients du job il vaut mieux envisager de se reconvertir. 

On ne niera point que cela puisse être pénible, voire même insupportable par moments. Le virtuel, on le sait, est d'une implacable férocité ! Nul doute que le face à face atténue ce type de comportements et la portée d'un trait d'humour, aussi agressif soit-il... Mais voilà, nous parlons ici de virtuel et de personnes qui font le choix de s'en offusquer au lieu d'avoir l'intelligence, voire l'élégance, de laisser couler. Les habitants de ladite petite ville jugeront s'il est naturel de leur faire supporter  le poids des états d'âme d'un seul, mais on peut raisonnablement douter que cela leur agrée. 

Il est clair qu'en ces temps compliqués que nous traversons certains contextes plus que d'autres prêtent à la dérision. Expression critique soutenue pas l'humour pour appréhender des faits difficilement supportables, elle permet à tout un chacun de s'exprimer sans ambages, et parfois sans modération. On ne saurait censurer la libre expression citoyenne, elle est un puissant vecteur de déconstruction des idéologies populistes et nécessaire à toute évolution sociétale. Pourtant, dans certaines bourgades ensoleillées comme dans d'autres dont les rigueurs climatiques boostent les énergies citoyennes et militantes, la liberté d'expression est sapée quotidiennement et grignotée en toute occasion. Or un pouvoir qui entend imposer respect et considération en bafouant les libertés individuelles ne parvient qu'à dévaloriser son action aux yeux de ceux qu'il prétend convaincre. Museler ceux qui s'expriment n'est pas, et de très loin, la meilleure manière de faire avaler l'amère pilule que certains distribuent à l'envie dans nos villes. Pour qui ne l'aurait visiblement pas compris, nous sommes encore en démocratie, ce qui sous-entend que chaque citoyen a toute liberté de s'exprimer. Et qu'on ne saurait imputer à qui respecte ce principe de liberté la responsabilité d'une quelconque expression.  

Il ne sera nommé personne dans ce billet, qui est à prendre comme une réflexion générale et ne prétend pas juger en lieu et place d'une cour de justice, et nulle situation particulière ne sera prise pour cible. Chacun est libre de l'ajuster à telle actualité qui lui plaira, car en ceci en tant d'autres lectures il incombe au lecteur de prendre ses responsabilités et de savoir retirer de ce qu'il lit ce qui saura nourrir sa propre réflexion. 

lundi 14 mai 2018

De la Culture de l'Autruche Beaucairoise...


L'autruche beaucairoise, jadis variété fort rare cultivée avec soin et de nombreux égards pour assurer sa pérennité, s'est vulgarisée ces dernières années au point de passer de la culture plein champs à celle, très controversée malgré ses résultats, sous serres. Ainsi fleurissent depuis quelques temps d'immenses serres dotées d'aménagements technologiques dernier cri. Le profane s'étonnera de ces vastes étendues vitrées qui défigurent le paysage beaucairois, donnant à la plaine de Beaucaire de faux airs de la Silicone Valley. La modernité des installations semble faire un pied de nez aux traditions chères au coeur des beaucairois, mais avec le temps ils s'y sont habitués et ne s'en émeuvent plus guère...

Plus étonnant encore est le procédé de culture, inspiré des temps anciens et modernisé pour assurer une rentabilité maximale du produit, lequel se destine à court terme à l'exportation. Car l'autruche beaucairoise est de plus en plus prisée par les amateurs, et plus encore par les politiciens qui sont prêts à débourser des sommes astronomiques pour en acquérir au sein de leurs équipes ! Des voyages d'affaires sont organisés pour leur permettre de découvrir le produit en culture, dans son jus en quelque sorte, voyages assortis du passage obligé par quelque fête votive ou autre tradition locale festive permettant de valoriser cette variété dont la renommée s'étend désormais bien au-delà des frontières gardoises.

Ainsi le visiteur émerveillé découvre-t-il des rangées de jeunes autruches alignées le cul en l'air, la tête enfouie dans un riche terreau constitué de sable, d'argile et de l'incomparable limon généreusement déposé par les débordements du Rhône dont les vertus ne sont plus à prouver. Le spectacle de ces culs beaucairois élevés en batterie vaut à lui seul le détour ! On prend conscience en les voyant que la pérennité de ce produit rare est assurée pour les générations à venir, et c'est un très grand moment d'émotion. L'atmosphère qui règne dans les serres concoure à impressionner le visiteur étranger, par là nous entendons qu'il n'est pas natif du cru renommé de la Terre d'Argence. Pour qui n'est pas au fait de ce mode de culture spécifique à Beaucaire, qui en a peaufiné le savoir faire au fil des siècles, l'impression est étrange. Le silence est lourd, ponctué des gémissements étouffés des jeunes autruches qui sont bombardées de messages subliminaux véhiculés par des ultra sons les conditionnant à atteindre le taux de passivité nécessaire avant de les relâcher dans la nature ou de les vendre. Nous signalons tout de même que depuis peu s'est constituée une association de consommateurs qui pointe les effets néfastes à long terme de cette méthode de culture sur l'intégrité du produit et prône un retour à la culture plein champs, certes moins productive mais assurant la qualité d'un produit qui serait totalement naturel. Par ailleurs l'exportation de ce produit donne lieu à quelques dérives affairistes préoccupantes sur lesquelles la justice pourrait bien se pencher, certains acheteurs étant soupçonnés de revendre les autruches beaucairoises en sous-main à des holdings au montage compliqué, nébuleuses sur lesquelles quelques médias ont enquêté en signalant leur dangerosité.

Quiconque se porte acquéreur, certes à prix d'or, de ce produit de qualité estampillé AOC, ne manque pas de se réjouir très rapidement d'avoir cédé à la tentation. L'autruche beaucairoise, une fois libérée de l'élevage forcé en serre, s'avère être un animal de compagnie joueur et affectueux, se contentant de quelques fêtes votives, d'apéros arrosés au pastis ou à la bière, et de places assurées dans les tribunes du Stade des Costières pour garder une humeur égale et un comportement des plus sympathiques. La culture de ce produit donne donc d'excellents résultats, et les politiques ont appris à soigneusement mesurer les récompenses données en échange de leur soutien indéfectible. Ainsi l'autruche beaucairoise ne s'émouvra pas de propos racistes et xénophobes, acceptera avec philosophie le retour à des traditions moyenâgeuses, et applaudira à tout rompre la moindre action ou inaction flagrante de son maître. Par souci de fidélité à son acquéreur, et partant du principe qu'on ne mord pas la main qui vous nourrit même si elle vous sert de la merde, l'autruche beaucairoise s'extasiera devant le nouveau logo de sa ville, sans se formaliser que celui-ci remette au goût du jour une fidélité à Louis XI et un ordre de chevalerie depuis longtemps obsolètes et tous deux enterrés. 

Car tout ce qui importe à ce produit par ailleurs de grande qualité, c'est de vivre le reste de ses jours en paix, sans torturer ses neurones très abîmés par le lavage de cerveau subi dans les serres, en application de cette maxime de Voltaire "A la cour, mon fils, l'art le plus nécessaire n'est pas de bien parler, mais de savoir se taire." Et l'autruche beaucairoise, forte d'un fabuleux plumage et d'une allure enviable qui fait sa renommée depuis la nuit des temps, courtise quiconque l'acquiert comme personne d'autre ne saurait le faire.