dimanche 27 octobre 2019

COMMUNAUTÉ VS COMMUNAUTARISME



J'entends et je lis de plus en plus fréquemment, ici et là, des sursauts d'indignation dès lors que l'on emploie le terme "communauté". Que cela vienne d'une droite désertée par l'esprit républicain qui en fait des caisses pour qu'on ne lui reproche pas de stigmatiser l'autre, ou que cela se produise au sein d'une certaine gauche qui elle, à force de forcer le trait républicain, obtient l'effet inverse et pave le chemin de l'anti républicanisme le plus crasse de ses trop bonnes intentions, le terme fait frémir d'angoisse les plus braves. Un subtil mélange d'ignorance couplée à la peur primale d'être à son tour montré du doigt qui fait sursauter le citoyen lambda... Mais qu'en est-il exactement du terme en question ?


Il me paraît aberrant d'avoir à rappeler que le terme "communauté" n'est ni un gros mot ni un adjectif qualificatif stigmatisant. Il s'agit là uniquement d'un mot qui désigne des personnes qui ont en commun des us et coutumes, une religion, une origine, une ville de naissance, un métier, la pratique d'un sport, un talent artistique, voire même des pratiques sexuelles. Pas un gros mot donc, uniquement un mot qui rassemble tout ce petit monde dans une seule escarcelle.

Pourquoi cette réaction gênée, ces dénégations outrées ? Probablement parce que de nombreuses personnes assimilent "communauté" à "communautarisme". Or le communautarisme désigne une tendance socio politique englobant une ou des communautés, ce qui est très différent. Né aux Etats-Unis, ce terme définit en premier lieu la fonction sociale des organismes communautaires, mais cette définition varie d'un pays à l'autre. Ainsi en France le communautarisme désigne le fait de revendiquer des droits différents justifiés par l'appartenance à une communauté, qu'elle soit culturelle, ethnique ou religieuse. C'est donc un projet sociopolitique qui vise à soumettre les membres d'un groupe aux normes propres à ce groupe, et donc à encadrer les opinions, les croyances, les comportements de ceux qui sont supposés appartenir à cette communauté. Selon Gil Delannoi (1) "Si le nationalisme est une obsession de la Nation, le communautarisme est une obsession de la communauté."

Mais qu'en est-il de l'emploi récurrent de ce terme ces dernières années ? On remarquera qu'il n'est utilisé que pour désigner des minorités ethniques, religieuses ou socio culturelles, jamais par exemple pour ce milieu bourgeois, presque exclusivement blanc et masculin, qui forme le monde très fermé des décideurs économiques et politiques. Je cite ici Sylvie Tissot (2) "La communauté se voit parée de toutes les vertus quand elle est nationale, et elle appelle une allégeance, un amour, un dévouement impérieux et exclusifs, donc un "bon communautarisme". Elle devient suspecte dès qu’elle est régionale, sociale, sexuelle, religieuse, ou plus précisément dès que, sous ces différentes modalités, elle est minoritaire." Très clairement, l'emploi du terme "communautarisme" légitime un discours raciste et tendancieux. Or si ce mot rencontre des réalités sociales et sociétales avérées, il n'est pas employé dans ce sens mais dans celui de ceux qui le dénoncent comme une forfaiture envers notre modèle de société qu'il faut par tous les moyens rejeter. 

Dans leur livre "L'illusion Nationale, deux ans d'enquêtes dans les villes FN", Vincent Jarousseau et Valérie Igounet ont employé le terme "communautaire" dans leur présentation de Beaucaire : "Quelques cafés et commerces, principalement communautaires, subsistent dans les rues principales." (p. 52). Des beaucairois de tous bords ont sauté au plafond et violemment critiqué cette phrase sur les réseaux sociaux, lui attribuant d'emblée une connotation tendancieuse. Pourtant "communautaire" signifie simplement "qui relève d'une communauté" et n'a absolument rien de stigmatisant. Cet exemple démontre combien l'usage de la langue française est un exercice difficile pour certains qui se piquent de défendre les valeurs républicaines et qui, en voulant trop en faire, le font bien mal.

A tous ceux qui pointent du doigt les diverses communautés de notre pays, et elles sont légions, en les accusant de porter des revendications communautaristes et de menacer l'équilibre républicain, je rappellerai que seule une complète égalité des droits favorisera une égalité des devoirs et l'atténuation des communautarismes. Et nous en sommes très loin. Les communautés qui subissent harcèlement, violences, racisme, haine et discriminations se replient sur elles-mêmes pour se protéger de la vindicte de leurs agresseurs. C'est un réflexe naturel que l'humanité porte en elle depuis la nuit des temps. Commencez par accorder à tous le droit de vivre et d'exprimer leurs choix de vie en accord avec les lois de la République, et cessez de les désigner comme les boucs émissaires de toutes vos frustrations.

A la réplique majeure censée vous couper le sifflet et vous remettre la tête à l'endroit, que d'aucuns vous balancent de manière comminatoire et sans aucune subtilité "Il n'y a pas de communautés, il n'y a que des citoyens et des citoyennes." je répondrai oui, certes. Mais certain(e)s le sont plus que d'autres. Et tant que cela existera les communautés continueront à favoriser à ce communautarisme que tout le monde regarde, souvent à juste titre, avec défiance. 

Petite précision. Si l'on admet que le communautarisme se définit majoritairement par des valeurs de référence qui sont essentiellement traditionnelles et construites sur un passé mythique ou idéalisé, on notera que les groupes identitaires liés à l'extrême-droite sautent à pieds joints dans cette description. On peut ainsi remarquer qu'ils sont les premiers à désigner "le communautarisme" comme une menace pour la République, et que de trop nombreux politiques de droite comme de gauche leur emboîtent le pas en occultant volontairement le fait qu'ils relaient des communautaristes d'extrême-droite tout aussi menaçants. Quid de l'équité ? Encore une fois, dès lors qu'il s'agit d'une communauté blanche, chrétienne et bien propre sur elle, les plus virulents adversaires du communautarisme n'y voient que du feu, y compris lorsque la menace est au cœur de leur propre communauté. 

Notes 
1- Gil Delannoi est un  politologue et sociologue français, spécialiste du nationalisme, du libéralisme et de la pensée politique française contemporaine
2- Sylvie Tissot est une sociologue, professeure au département de sciences politiques de l’université de Vincennes-Saint Denis-Paris VIII. Elle milite pour les droits des femmes et les droits des étrangers

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