
Les patriotes qui hurlent au loup depuis vendredi soir en donnant aux autres des leçons de morale nationaliste, voire même fasciste, bien calés sur leur canapé dans leur petite ville du sud, ont-il déjà vécu ailleurs que là où la vie est douce et ensoleillée mais quelque peu étriquée ? Je vous parle ici de ce que j'entends et de ce que je lis, mais je sais qu'il en va de même partout en France. Mettons les choses au point : ces gens qui prennent fait et cause pour les victimes des attentats parisiens en exsudant la haine ne savent rien de ce que sont et la ville et ses habitants. Ils n'ont aucune idée de ce que représente la mixité culturelle de Paris, ils n'ont pas conscience de la pluralité qui en fait toute l'originalité et la richesse. Ils désignent les banlieues d'un doigt vengeur, mais pour eux cela demeure abstrait, ils ne veulent pas savoir. Connaître l'autre c'est lui donner consistance, c'est lui concéder une existence, une réalité. Et les belles théories s'effondrent lorsqu'elles sont confrontées à la réalité, celles qui propagent la haine comme les autres.
Que connaissent-ils de la dure réalité des banlieues, des interminables temps de transport dans des RER bondés pour aller gagner le SMIC, en râlant mais en ayant conscience qu'au moins cela paye d'indécents loyers ? Ces gens-là ne vivraient pas dans les appartements qui s'alignent dans d'affreuses barres de HLM qui ressemblent à des clapiers pour lapins, dont les murs mal isolés vous font involontairement vivre chaque minute de la vie de vos voisins ! Ont-ils conscience de la difficulté qu'il y a à vivre sa croyance, quelle qu'elle soit, dans certains quartiers de Paris ou dans certaines banlieues, depuis le début de notre siècle ? Les regards qui s'attardent, les commentaires, les moqueries, l'incompréhension, la crainte aussi parfois... Les pratiquants qui affichent leur croyance le font en toute conscience et savent que le respect de leurs traditions culturelles peuvent déclencher une réaction de violence qui vient grossir le flot de haine qui envahit un peu plus chaque jour les réseaux sociaux et déborde dans nos rues. Pourtant ils continuent, pas pour provoquer, juste parce qu'ils en ont besoin. Et cela force le respect. Mais il n'y a aucun respect dans l'esprit de ceux qui confondent religion et extrémisme, ceux-là en vérité se frottent simplement les mains de l'aubaine et se voient déjà raccompagner les "étrangers" à nos frontières. Manu militari à les entendre ! Leur courage étant cependant proportionnel au nombre d'amis qui les accompagnent dans cette belle démarche patriotique, on peut raisonnablement douter qu'il leur en resterait s'ils devaient agir seuls. Il est probable qu'ils se pisseraient dessus...
Ceux-là qui se disent patriotes, et d'une certaine détestable manière ils le sont en effet, n'envisagent pas une seconde que d'autres le soient tout autant en vivant différemment d'eux. Combien de fois devra-t-on leur expliquer qu'il n'y a pas qu'une seule manière de vivre ? Que l'amour de son pays se manifeste aussi bien dans le respect de ses couleurs que dans la vie qu'on y mène chaque jour à sa façon, pas après pas, difficulté après difficulté, enfant après enfant ? Eux qui déposent gentiment leurs enfants chéris chaque jour devant leur école, collège ou lycée, qui ont l'esprit tranquille parce qu'ils feront en bus départemental ou réservé aux scolaires un trajet sans histoire, devraient par exemple se mettre à la place des franciliens et des parisiens dont les enfants prennent seuls le bus, le métro ou le RER pour aller en cours dès qu'ils entrent au collège. Ils n'ont pas d'autre choix que de lâcher leurs enfants dans ce réseau de transport complexe qui rayonne sur une cinquantaine de kilomètres autour de Paris, avec tous les risques que cela comporte. Et ils le font, ils donnent à leurs enfants les clés de cette pseudo liberté nécessaire à leur épanouissement, parce que c'est là qu'ils ont choisi de les mettre au monde, là qu'ils les élèvent pour devenir des adultes responsables. Et ce sera là qu'un jour ceux-ci feront de même avec leurs propres enfants, l'angoisse au ventre mais fiers de cette débrouillardise typique d’Île de France. Oui ils grandissent parfois dans des banlieues difficiles, mais ils sont confrontés aux réalités de la vie et ils s'ouvrent à toutes les cultures du monde ! Leurs amis viennent de tous les coins de notre planète, pratiquent toutes les religions, perpétuent toutes les traditions, à leur contact ces enfants, nos enfants, s'épanouissent.
Les patriotes qui déversent leur haine sans aucune censure sur les réseaux sociaux, dans la rue, au bistrot, que savent-ils de la vie des franciliens et plus précisément des parisiens ? Savent-ils qu'ils ne rentrent jamais déjeuner chez eux, qu'ils avalent leur déjeuner en trente à quarante minutes, café et cigarette compris, avant de se remettre au travail ? Que les parisiens font leurs courses le soir avant de rentrer pour garder tout leur temps libre pour leurs activités du week-end ? Mais qu'a contrario les habitants des banlieues prennent d'assaut les grandes surfaces le samedi pour se balader en même temps dans les centres commerciaux parce que près de chez eux il n'y a guère de choix pour habiller les enfants, trouver une paire de chaussures, manger une glace ou acheter des jeux vidéos ? Savent-ils aussi que personne à Paris ou en banlieue ne fait la sieste à moins d'être à la retraite ou privilégié ?
Que connaissent-ils de la diversité des loisirs parisiens ? Ont-ils déjà savouré un café ou une bière en terrasse à Paris, bercés par le bruit de la circulation qu'au bout d'un moment on n'entend même plus ? Fréquenté un bar gay juste pour s'éclater ? Joué à la pétanque aux Halles ou aux Invalides avant de pique-niquer sur les pelouses ? Dansé sur les quais de Seine ? Écouté du slam et de la poésie sur une péniche ? Participé à un café philosophique ou citoyen pour débattre avec de parfaits inconnus qui deviendront des amis ? Discuté comme çà de tout et de rien avec leurs voisins de bistrot de toutes origines et fait des rencontres inoubliables ? Ont-ils jamais expérimenté les plaisirs d'un voisinage joyeusement mélangé qui partage aussi aisément sa cuisine savoureuse que ses engueulades familiales ou les pleurs de ses gamins ? Qui viendra donner un coup de main si besoin et aura toujours un mot gentil dans l'ascenseur ou l'escalier ? Dont les adolescents porteront vos sacs de courses pour vous aider ? Que connaissent-il des gardiens d'immeubles parisiens qui arrosent vos plantes et nourrissent vos bestioles quand vous vous absentez, réparent votre machine à laver, posent vos tringles à rideaux, ouvrent votre porte quand vous oubliez vos clés dans votre appartement, et parfois gardent vos enfants pour vous dépanner ? Eux qui ne supportent pas les commerces "communautaires" et autres kebabs ouverts tard dans la soirée, que savent-ils du plaisir qu'il y a à descendre chez l'épicier arabe de sa rue pour acheter de quoi improviser une petite fiesta pour les amis qui débarquent ou simplement prendre un kebab, une pizza, ou une barquette de riz cantonais et des nems en rentrant chez soi ?
Connaissent-ils l'incomparable plaisir de se balader le nez au vent dans les rues de Paris, d'y croiser des milliers de personnes toutes différentes et pourtant de s'y sentir plus chez soi que nulle part ailleurs ? Non, les patriotes de province préfèrent rester en compagnie de leurs congénères, il vivent en circuit fermé et ne supportent pas de croiser un français d'origine étrangère ! Ils regardent de travers tout ce qui ressemble pour eux à un mécréant, qu'il soit juif ou musulman, oubliant qu'ils prient le même Dieu... Et ces temps-ci ils se focalisent sur les "arabes", tous des terroristes potentiels à leurs yeux ! Même dans leur petite ville ensoleillée ils les surveillent, ils les catégorisent, il les craignent. Oubliant que leur petite vie provinciale de bons franchouillards bornés noyés dans la charcuterie personne n'a envie de la voir voler en éclat, hormis sans doute d'autres français qui ne supportent plus d'entendre leurs discours haineux et péremptoires. Vouloir les faire évoluer ne serait-ce que d'un iota est peine perdue, nos bons patriotes se confortent plus encore dans leur discours de violence et de rejet, n'hésitant pas à manipuler, à mentir, à dénoncer !
Mais après tout qui sommes-nous pour les juger ? Nous, les "bien-pensants" qu'ils haïssent autant que les valeurs d'égalité, de liberté et de fraternité que nous défendons, mais qu'ils ne peuvent hélas envisager de reconduire aux frontières... Cela les rend malades, mais oui, nous sommes français et patriotes autant, sinon plus que lui. Et nous avons conscience, comme le disait Blaise Pascal dans Les Provinciales, que "L'envie et la haine emploient le mensonge et la calomnie". Eux ne sont pétris que de cela. Avec de la chair à saucisse pour colmater les brèches.